Panorama économique
Des droits de douane très élevés
Il était déjà évoqué le mois précédent que les nombreuses déclarations du nouveau président américain semblaient vouloir remettre en question la structure actuelle de la planète, tant sur le plan politique et économique que financier. Tous les opérateurs attendaient avec impatience et anxiété les dernières annonces de D.Trump du 2 avril 2025, qualifié selon lui, comme le « jour de la libération ». Il s’agissait de révéler au monde entier la nouvelle grille tarifaire des taxes douanières impactant l’ensemble des importations du pays. Un ajustement à la hausse était attendu par les économistes, et probablement en partie par les marchés financiers. Mais le tableau des nouveaux tarifs est apparu plus agressif que prévu, et a généré un véritable « tsunami », pour reprendre le grand titre d’un journal économique bien connu !
En effet, comme le montre le graphique ci-dessous, le niveau moyen des droits de douane affectés aux importations devrait passer de 2,5% à 23%, soit un « retour en arrière » d’un siècle. Une telle décision pourrait mettre fin en théorie à la notion de mondialisation.

Tous les pays ne sont pas touchés de la même façon, avec des impacts particulièrement lourds pour certaines zones asiatiques, comme la Chine ou le Vietnam.
Un tel changement sur les règles du commerce international va peser sur l’économie mondiale dans les prochains mois, et en particulier sur les États-Unis. Dans cette zone géographique, deux principaux sujets redeviennent d’actualité.
Le premier concerne une reprise probable de l’inflation. Les derniers chiffres révélaient déjà une difficulté à normaliser la hausse du coût de la vie. Si l’on tient compte maintenant de la progression des prix des produits importés, l’inflation pourrait revenir vers le niveau de +4% à +5% selon les premiers calculs des spécialistes. C’est un schéma que les acteurs économiques commençaient déjà à intégrer quand on analyse les anticipations de l’évolution de l’inflation à un horizon à un an, comme le démontre le graphique ci-dessous.

Des risques significatifs sur la croissance
La seconde préoccupation était jusqu'à présent totalement inattendue, et va concerner la dynamique de l’activité. La réélection du président américain supposait, selon ses propos de campagne, de conserver une croissance au moins comparable à celle connue lors des quatre années précédentes.
Or, la pression exercée par l’équipe d’Elon Musk sur la fonction publique, le risque de remontée de l’inflation et les grandes tensions sur le commerce international qui peuvent remettre en question de nombreux projets d’investissement, pourraient déboucher sur un net ralentissement de l’activité. L’hypothèse d’une récession, ne peut maintenant être exclue, certains économistes en évaluent désormais la probabilité à hauteur de 40%. La baisse brutale des marchés financiers, qui constitue un élément important dans la richesse patrimoniale des ménages américains, pourrait également contribuer à cette dégradation des perspectives économiques. Par ailleurs, toutes les éventuelles mesures de rétorsion prises par les pays concernés par ces taxes douanières (comme vient de le faire la Chine) amplifieraient la guerre commerciale et les risques de ralentissement de l’activité mondiale.
L’Europe n’est pas épargnée par ces décisions américaines avec de nouvelles taxes douanières à hauteur de 20% sur les 370 milliards de produits exportés outre-Atlantique. Ces tensions entre ces deux grandes zones géographiques devraient perdurer un certain temps, même si les responsables politiques européens souhaitent trouver un compromis tout en montrant leur volonté de résister aux pressions américaines (relèvement de la fiscalité sur une partie des biens produits en Amérique du Nord, remise en cause potentielle de nombreux services délivrés par des entreprises US). Dans un tel contexte, la croissance de la zone euro serait pénalisée à hauteur de -0,4% de son PIB. Mais au-delà des tensions internationales, il ne faut pas oublier les résultats des élections législatives allemandes, et la volonté du nouveau chancelier Friedrich Merz de modifier le modèle économique allemand. Ce dernier, fondé sur des règles d’austérité depuis la fin de la grande crise financière de 2008, avait pour objectif de limiter le déficit public. Ces dispositions n’ont pas été remises en cause pendant de nombreuses années le pays profitant pleinement des faibles prix du gaz russe, des exportations massives en direction de la Chine et de la protection militaire peu coûteuse des États-Unis. Mais la période de la Covid, suivie de la guerre russo-ukrainienne a fait « éclater » ce business modèle allemand, et plonger le pays dans une récession depuis deux ans. La décision du nouveau leader politique outre-Rhin de lever le frein à l’endettement, grâce à un changement de la constitution, pourrait enfin donner les moyens à l’Allemagne de dépenser entre 1 000 et 1 500 milliards d’euros sur la prochaine décennie par une hausse de l’endettement public (cf. graphique ci-dessous).

Marchés Financiers
Entamée à l’issue du résultat des élections présidentielles, la lune de miel entre D.Trump et les marchés est bel et bien finie. La nouvelle administration américaine bouleverse l’ordre établi et crée un niveau élevé d’incertitude généralisée qui va bien au-delà de la politique commerciale stricto sensu. En institutionnalisant l’instabilité, D.Trump force le reste du monde à se réinventer. Serait-ce un mal pour un bien ?
Fortes secousses sur les marchés financiers
Il ne fait plus de doutes : il fallait bien prendre les discours pré-électoraux du candidat républicain au sérieux et non pas seulement comme une rhétorique de campagne. L’approche non coopérative de D.Trump, son soutien à V.Poutine, l’interférence de E.Musk dans les élections allemandes, ou encore les critiques directes de JD.Vance à l’égard des institutions européennes sont désormais complétés par des mesures économiques particulièrement disruptives. Ainsi, les annonces tarifaires du 2 avril dernier généralisent la guerre commerciale à une échelle qui n’avait plus été vue depuis les années 1930. Les craintes initiales sont dépassées avec des implications économiques et politiques majeures. Ces droits de douane renforceront les tendances actuelles d’un ralentissement de la croissance économique américaine et d’une augmentation des risques d’inflation au cours des douze prochains mois. Les droits de douane agissent comme une taxe sur les consommateurs (les dépenses de consommation représentent 70% du PIB américain) si les coûts ne sont pas absorbés par les exportateurs ou les distributeurs, ce qui risque de créer un frein économique à court terme. Déjà en février, les ménages américains ont réduit leurs dépenses de services pour la première fois en trois ans sous le poids de la hausse des prix. Résultat : ce choc d’offre devrait se traduire par une stagflation (c’est-à-dire une situation économique rare caractérisée par une croissance lente, une inflation croissante et un chômage plus élevé). Nous nous interrogions le mois dernier au sujet de l’exceptionnalisme américain.
S’il n’est pas mort, il faut tout au moins le relativiser à court terme tant les impacts sur l’économie américaine semblent significatifs. La réaction baissière des marchés financiers n’est dès lors pas surprenante, car les investisseurs doivent s’adapter à un environnement plus hostile, sans visibilité, avec des perspectives de croissance et des résultats d’entreprises plus faibles, une inflation plus forte, ainsi que des taxes plus élevées. La gestion de l’incertitude est bien au cœur du processus d’investissement, mais il faut avouer que ce scénario n’est pas idéal. A ce titre, la décision de la Chine de répliquer aux droits américains en dit long sur la fragmentation de l’économie mondiale qui devrait conduire à un manque d’efficience. Elle témoigne surtout de l’avancée de la refonte du modèle économique chinois vers la consommation domestique et donc une moindre dépendance (supposée ?) au commerce extérieur. Mais cela illustre également ce fameux risque d’escalade qui renforce davantage les risques de récession.
A ce stade, il est possible d’imaginer trois évolutions :
- Une issue favorable qui pourrait reposer sur l’acceptation de compromis de la part de D.Trump, qui serait le fruit d’une certaine inquiétude de l’administration et de l’opinion publique face aux risques réels affectant l’économie américaine.
- Une situation figée sur les derniers niveaux connus à ce jour. Certes l’impact global serait défavorable mais il serait possible de le mesurer et de dresser des perspectives.
- Une escalade généralisée qui pourrait même aller jusqu’à inclure des tarifs sur les services. Dans la mesure où ces derniers peuvent représenter une part significative du PIB, les conséquences seraient une augmentation du risque de récession. Soulignons à ce titre que si l’Europe affiche un excédent commercial important vis-à-vis des États-Unis, à l’inverse elle est déficitaire en matière de services.
Il est difficile d’établir une ligne directrice basée sur des éléments éminemment politiques. Toutefois si les aspects fondamentaux paraissent peu utiles à très court terme tant que la volatilité sera alimentée par des alertes en provenance des réseaux sociaux, ils demeurent pertinents pour un horizon plus long en phase avec la gestion d’actifs.
Accroissement de la défiance envers les marchés américains
Revenons alors aux éléments fondamentaux. Au terme de quelques séances particulièrement agitées, les marchés financiers se sont adaptés à ce nouvel environnement de moindre croissance. Les taux d’intérêt à long terme se sont repliés (en Europe) et les valorisations des marchés actions ont baissé. Est-ce suffisant ? Il est difficile d’anticiper les mouvements de court terme tant la variable politique semble fluctuante. Toutefois, au regard des premières réactions de désaccord en provenance des plus grandes entreprises américaines envers la politique menée, nous pouvons envisager qu’une période d’accalmie pourrait suivre et permettre ainsi de réexaminer les perspectives des différents marchés.
Dans cette hypothèse, pourrait-on assister à un prolongement de la grande rotation des capitaux observée dernièrement ? La domination des marchés américains est clairement remise en question. Cela pose la question d’un risque de prolongement de la sous-performance compte tenu des changements majeurs à l’œuvre au sein d’autres zones économiques. À commencer par l’Europe. En approuvant un paquet fiscal conséquent (500 milliards d’euros), l’Allemagne supprime la règle du frein à l'endettement mettant ainsi un terme à une rigueur budgétaire qui pèse sur la croissance européenne depuis 2011. De plus, le plan ReArm (800 milliards d’euros) devrait aussi favoriser la croissance. Pour peu que les instances politiques européennes confirment des actes forts, nous pourrions assister à une pérennisation de la surperformance des marchés européens.
Quant à la Chine, qui a décidé de croiser le fer avec D.Trump (« nous sommes prêts à aller jusqu’au bout » selon le discours des dirigeants), elle devrait voir ses exportations vers les États-Unis fortement diminuer et impacter ainsi la croissance attendue pour 2025. Mais elle dispose de moyens fiscaux pour compenser cet impact et des mesures de relance sont attendues probablement pour soutenir la consommation des ménages. Au global, les incertitudes sont encore nombreuses. La situation est loin d’être stabilisée, ce qui génère de la volatilité. Face à la montée en puissance des annonces de guerre commerciale, nous avions déjà positionné nos portefeuilles pour faire face à une augmentation des turbulences sur les marchés en réduisant quelque peu l’exposition actions depuis le début de l’année. De la même manière, notre exposition au risque de crédit est réduite dans la mesure où nous sélectionnons des supports axés sur les crédits de haute qualité, en privilégiant les entreprises notées BB et les émetteurs solides notés B, moins sensibles aux écartements de spreads. Par ailleurs, nous avions récemment allongé la duration sur les obligations européennes. Dans ces conditions, nous préférons conserver les allocations en l’état, en considérant que les mouvements récents de marchés intègrent déjà une grande partie des risques identifiés aujourd’hui. Nous ne pouvons exclure la poursuite de secousses supplémentaires, mais croyons aux forces de rappel qui permettront de retrouver un certain calme. Nous devenons plus prudents sur l’évolution du dollar américain. Son comportement récent de baisse face aux autres devises nous enseigne que nous ne pouvons exclure à l’avenir une défiance accrue de la part des investisseurs.
