Panorama économique
Les États-Unis mettent la pression sur leurs partenaires
Tout le monde connaissait l’ensemble des arguments électoraux qui a permis à D.Trump de se faire élire avec conviction à la Maison Blanche en novembre dernier.
Les économistes mettaient en avant les risques de nombreux troubles sur le commerce international, avec l’hypothèse d’une hausse des droits de douane sur plusieurs produits importés. Les conséquences pouvaient être alors une reprise de l’inflation dans un contexte de ralentissement de l’activité. Mais personne n’avait imaginé un tel bouleversement de l’économie mondiale, seulement après quelques semaines après la mise opérationnelle de la nouvelle équipe républicaine à la tête de l’état américain.
Plusieurs annonces et évènements du côté nord Atlantique ont remis en question de nombreuses certitudes : la nouvelle politique migratoire, les multiples menaces sur l’ajustement des taxes de produits en provenance du Canada, du Mexique et de la Chine (avec un timing aléatoire) et le changement radical d’opinion de D.Trump sur les présidents Zelenski et Poutine au sujet de la guerre russo-ukrainienne. Tous ces facteurs peuvent remettre en cause la structure actuelle du monde, sur le plan politique, économique et financier.
Tout d’abord sur le plan politique, le rapprochement aussi rapide et inattendu auprès du pouvoir Russe, potentiellement au détriment de l’Ukraine, voire de l’Union Européenne à en juger par certains propos, pourrait modifier significativement les grands équilibres militaires existants depuis la seconde guerre mondiale, tels que la carte ci-contre les affiche. Les principaux pays du « vieux continent » se posent donc la question de la solidité de leurs relations avec les États-Unis, et leur capacité à pouvoir se défendre militairement en cas d’agression d’un pays ennemi. Cela a introduit rapidement la réflexion d’investir massivement dans le secteur de la défense. C’est ainsi que la Commission Européenne, et sa présidente Ursula Von der Leyen, ont proposé aux pays membres de mettre en place un plan d’investissement proche de 800 milliards d’euros sur dix ans, afin de renforcer leur propre défense. Un financement qui devrait être assuré par les États concernés, mais aussi par des obligations européennes (eurobonds).

Carte des liens politiques actuels entre les principales zones mondiales. En bleu les pays proches des États-Unis, et en rose les pays proches de la Chine (Source : Capital Economics mars 2025).
En parallèle à ces interrogations géopolitiques, les perspectives macro-économiques font également l’objet de récentes modifications.
La première d’entre elles va concerner directement les États-Unis. En effet, l’ère Biden s’était montrée particulièrement positive pour l’économie américaine. Les experts ont même évoqué l’expression d’exceptionnalisme pour résumer cette période, en faisant « le pari » d’une poursuite d’une telle tendance sur le plan économique avec le nouveau président américain. La situation actuelle semble montrer un contexte complètement différent de celui qui était espéré par de nombreux économistes.
Les annonces de l’administration Trump perturbent les consommateurs
Ainsi, le changement radical de posture du nouveau gouvernement républicain tant sur le plan domestique qu’international commence à affecter la confiance des acteurs économiques. L’indice ISM manufacturier, représentatif du moral des chefs d’entreprise, continue à se dégrader avec un momentum négatif à en juger par la forte baisse de la sous composante « nouvelles commandes » (-6,5 points à 48,6 en février). Mais le plus inquiétant est relatif au comportement à venir des ménages américains qui constitue l’essentiel de la valeur ajoutée du pays.Or, la confiance de ces derniers affiche également des signes de faiblesse. C’est ainsi que l’indicateur représentatif du moral des ménages calculés par le Conference Board a chuté de 7 points à 98,3 le mois précédent, soit son plus bas niveau depuis 8 mois. Les américains s’interrogent sur une possible détérioration du marché de l’emploi (non confirmée cependant sur les récentes statistiques), et sur une éventuelle hausse de l’inflation. Même si les conditions climatiques ont probablement eu un effet défavorable, le repli des dépenses de consommation en janvier dernier pour la première fois depuis mars 2023, montre bien les risques d’une déception de la croissance sur les premiers mois de l’année. Les spécialistes de l’économie modifient progressivement leurs prévisions en intégrant ce nouveau contexte, et certains d’entre eux anticipent maintenant une baisse du PIB au premier trimestre (cf. graphique ci-dessous).

Prévisions de la croissance trimestrielle du PIB (Capital Economics – mars 2025).
Pour autant, l’hypothèse d’une éventuelle récession n’est pas encore à l’ordre du jour, avec l’espoir d’un net rebond de l’activité à partir du second trimestre.
Les résultats des élections législatives allemandes étaient attendus avec impatience par les investisseurs. En effet, ces derniers s’étaient positionnés sur une victoire du CDU/CSU.
(cf. graphique ci-dessous) qui pourrait avoir la majorité absolue en s’alliant avec un autre parti (SPD) ayant de nombreux objectifs communs. Même si le nouveau gouvernement n’est pas encore connu, il semblerait que ce scénario puisse se mettre en place avec la volonté du futur chancelier Friedrich Merz de prendre des mesures appropriées afin de relancer l’économie après deux années de récession. Au-delà de la création d’un fonds spécial de l’ordre de 500 milliards d’euros à destination de l’éducation, des infrastructures et de tous les moyens qui permettraient d’améliorer la productivité du pays, il s’agirait également de limiter le « frein à l’endettement » par un changement de la constitution, à condition d’avoir deux tiers des voix du Bundestag.

Résultat des élections législatives allemandes (mars 2025).
En parallèle, le changement de discours du président Trump sur le conflit Russo-Ukrainien, semblant privilégier la Russie avec la menace d’un retrait des troupes américaines du « vieux continent », a fait prendre conscience aux Européens de la nécessité absolue de reprendre leur autonomie sur le plan militaire. C’est ainsi que la Commission Européenne et de nombreux chefs d’états ont annoncé une forte hausse de leur budget lié à la défense lors des prochaines années. Dans un tel contexte (encore théorique cependant), il devient alors possible d’anticiper une reprise du cycle des affaires en Europe, qui mettrait fin à plusieurs années de déception tant sur le plan politique qu’économique.
Marchés Financiers
Jusqu’à l’élection de Donald Trump, nous étions en droit d’imaginer que la fracturation Chine/États-Unis était probablement l’axe le plus prégnant pour mesurer les impacts des évolutions géopolitiques en matière de résultats macroéconomiques. Les événements des dernières semaines bousculent cette hypothèse dans la mesure où les décisions récentes prises par l’administration américaine ne semblent plus faire de distinction entre alliés et adversaires. La réalité est qu’il est désormais difficile de compter sur les États-Unis comme ultime soutien militaire et que l’Europe doit désormais prendre en main son destin.
Une nette sous-performance des marchés américains
Le fait novateur de ce début d’année réside dans la sous-performance des marchés américains dont l’ampleur s’est accentuée au cours du mois de février. En fait, des inquiétudes sont récemment apparues au sujet des deux éléments qui ont soutenu la croissance des marchés américains depuis deux ans et constituaient les fondements de l’exceptionnalisme américain : le narratif sur l’intelligence artificielle mis à mal depuis l’émergence du chinois DeepSeek courant janvier et les perspectives économiques remises en question dans un contexte de fortes incertitudes. Après avoir tout d’abord salué la victoire de Donald Trump en imaginant que l’aspect pro-business de son programme serait encore plus favorable dans son second mandat, les investisseurs viennent à douter et considèrent à présent les risques relevant de son agenda économique. Les premières semaines depuis l’investiture conjuguent deux caractéristiques majeures du président américain : son imprévisibilité et son appétence pour les tarifs douaniers. L’incertitude sur la politique commerciale atteint des sommets et pèse fortement sur la confiance des consommateurs et génère de l’attentisme de la part des chefs d’entreprise.

Évolution des indices actions en 2025
Source : Datastream-Crédit Mutuel Gestion
La problématique des tarifs douaniers est la suivante : ils augmentent les prix, pèsent sur la croissance, réduisent les profits, augmentent le taux de chômage, diminuent la productivité et accroissent les tensions. À part cela, ils ne posent pas de problèmes...
Dans ces conditions, les hypothèses de récession refont surface à la lueur notamment des prévisions de croissance pour le premier trimestre, attendu en recul sensible. S’il ne fait pas de doute que les indicateurs économiques témoignent d’un début d’année difficile pour l’économie américaine, il existe probablement un écart sensible entre la perception (reflet des enquêtes de confiance) et la réalité économique qui s’appuie sur des avantages compétitifs toujours très forts. Soulignons que l’été dernier un précédent épisode de crainte de récession s’était traduit par un fort recul des marchés, rapidement infirmé par le dynamisme imperturbable de l’économie américaine.
L’Europe doit prendre en main son destin
Alors que l’économie américaine freine, l’économie européenne amorce un redressement dont l’impulsion repose sur la reprise du crédit bancaire permis par la baisse des taux de la BCE. Si cette désynchronisation des cycles constitue probablement un facteur explicatif, la bonne performance des marchés européens depuis le début de l’année repose en majeure partie sur le changement de paradigme en Allemagne. La prochaine coalition gouvernementale allemande issue des élections du 23 février devrait trouver un accord pour réformer les règles fiscales strictes en vigueur dans le pays et lancer un programme d’investissement pour accroître les dépenses de défense et d’infrastructure. Un vote est attendu le 18 mars au Bundestag.
Cet accord serait historique et positif. Historique car il reflète un changement profond qui bouleverse la rigueur fiscale mise en place depuis la crise financière de 2008. Il est positif car il desserre le carcan fiscal qui a contribué à la faible croissance de l’Allemagne et donc de l’Europe des dernières années. Les réformes proposées s’appuient sur trois piliers : une prise en compte des dépenses de défense supérieures à 1% du PIB hors cadre de la règle fiscale, un fonds de dépenses d’infrastructures d’un montant de 500 milliards d’euros (12% du PIB) sur dix ans, et la possibilité pour les États fédéraux d’avoir des déficits (max 0.35% contre l’équilibre actuellement). Au global, l’expansion fiscale pourrait représenter 1 à 2% de PIB par an, et aussi permettre une hausse de la croissance potentielle pour les années à venir, dans la mesure où cela permettrait de pallier à certains problèmes structurels de l’économie allemande.
Cela signifie une augmentation du déficit fiscal et de l’endettement allemand. Ainsi, ce changement de braquet potentiel a entrainé les taux d’intérêt allemands à long terme à la hausse (les taux à dix ans ont augmenté de près 0,50% depuis le début de l’année), et par conséquent les autres taux européens. Cela complique bien évidemment la dynamique de la dette française. Pour autant, nous considérons que le mouvement de tension sur les taux longs a été particulièrement violent et pourrait connaitre un certain retour dans les prochaines semaines, en lien notamment avec la poursuite de la détente des taux directeurs de la BCE, dans un contexte de confirmation d’une inflation proche de l’objectif. Cela nous amène à allonger quelque peu la duration de nos positions obligataires en renforçant les supports investis sur des obligations européennes long terme.
Retour à une position neutre sur les actions
Par ailleurs, nous prenons acte de la montée des incertitudes pour adopter une approche plus prudente et repasser en position neutre sur la partie actions pour tous les profils de gestion, annulant la surpondération adoptée en octobre dernier. Le risque principal provient, une fois n’est pas coutume, des États-Unis. L’inconstance de Donald Trump se conjuguera à un flux de nouvelles toujours dense (l’administration américaine entend implémenter l’essentiel des mesures avant les élections de 2026) susceptibles de maintenir une forte volatilité, et les risques de récession, certes faibles, ne peuvent être totalement écartés. La correction en cours sur les actifs américains est déjà bien entamée.
Mais, au même moment, d’autres zones font valoir des perspectives plus prometteuses en relatif. Nous avons évoqué les promesses européennes ci-dessus. Mais il est également nécessaire de réexaminer le potentiel des marchés chinois au regard des évolutions récentes. L’indice MSCI China affiche la plus forte progression depuis le début de l’année. Cette performance traduit d’une part une situation économique stabilisée, confortée notamment par sa feuille de route économique pour 2025, avec un objectif de croissance maintenu à 5% qui envoie un message de confiance de la part des autorités. Elle s’explique aussi d’autre part par le nouveau rapprochement entre les autorités et l’industrie de la Technologie orchestré lors d’une réunion récente. Cette rupture idéologique intervient quatre années après la spectaculaire mise à l’écart de Jack Ma, le fondateur d’Alibaba. Il s’agit d’un revirement important à l’heure où l’émergence de la technologie chinoise (DeepSeek et autres Chatbot) remet en cause la domination américaine dans le domaine de l’Intelligence Artificielle. Cet environnement conduit à des révisions en hausse des perspectives des marchés chinois, plus particulièrement sur les valeurs technologiques dont la décote reste toujours particulièrement importante, alors que leurs homologues américaines sont actuellement sous pression. Les actifs chinois peuvent présenter de plus une certaine décorrélation à l’agitation découlant des décisions américaines.
Au final, en phase avec une attitude un cran plus prudente sur la classe d’actifs actions, les allègements concernent essentiellement les valeurs internationales (à forte dominante américaine), notamment au sein des thématiques technologiques sur les profils diversifiés, et les valeurs européennes au sein des PEA. Nous renforçons parallèlement légèrement les valeurs asiatiques.

Source : Datastream – Crédit mutuel gestion