Finance durable : vers un changement de paradigme
En finance, comme en informatique, mais moins souvent heureusement, il y a des « mises à jour logicielles » qu’il est indispensable de faire sous peine que tout fonctionne moins bien. La déferlante réglementaire et le constat évident que le statu quo écologique et social n’est pas tenable, soutiennent l’avènement du concept de « finance durable ».
Au cœur de cette mise à jour se trouve le remplacement du duo « risque/rendement », par le trio « risque/rendement/durabilité » dans la manière d’analyser ses investissements.
En maitrisant quelques concepts centraux, vous pourrez rendre progressivement vos investissements « plus responsables ». L’objectif n’est pas de se contenter de définir ces éléments indispensables, mais d’expliquer pourquoi et surtout comment les prendre en compte dans vos décisions d’investissement.
Taxonomie verte : de quoi s’agit-il ?
Dans toute entreprise, il est important de commencer par la base. Et en matière de « finance durable » la base, c’est la « taxonomie verte ».
« Taxonomie », car il s’agit de classer, définir précisément, scientifiquement quelque chose. « Verte » car ce quelque chose couvre « les activités, projets qui ont un impact positif important sur le climat et l’environnement ». Ou autrement dit en langage réglementaire, les activités et projets « durables sur le plan environnemental ».
Cette liste d’activités vertes, ce dictionnaire, est organisé autour de 6 objectifs (6 chapitres) :
- atténuation du changement climatique
- adaptation au changement climatique
- utilisation durable et protection des ressources hydriques et marines
- transition vers une économie circulaire
- prévention et contrôle de la pollution
- protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes
Dès lors, le but est simple : faire en sorte que les entreprises répartissent progressivement leurs activités en deux typologies :
- activité « verte » lorsqu’elle est dans le dictionnaire et respecte le test d’adéquation en 3 étapes2 de la taxonomie verte
- activité « brune » lorsqu’elle n’est pas dans le dictionnaire ou ne passe pas le test d’adéquation.
À terme elles tendent, poussées par les investisseurs, à augmenter la part verte par rapport à la part brune.
Comment rendre vos investissements plus durables ?
Cette réglementation se traduit par une notion clé pour l’investisseur qui lui sera fournie par les entreprises elles-mêmes : le pourcentage d’alignement à la taxonomie verte de chaque entreprise. Cet alignement s’exprimera, selon les cas, en pourcentage du chiffre d’affaires, des investissements ou des dépenses opérationnelles.
Dès lors, vous l’aurez compris, cet alignement peut être de 100% (exemple les opérateurs uniquement d’éoliens) ou de seulement quelques pour cent (exemple les entreprises pétrolières ayant investi dans de l’éolien) car la taxonomie verte s’intéresse aux activités et non pas à l’entreprise elle-même.
Ainsi, en augmentant la part d’alignement taxonomie verte dans vos investissements, vous rendez mécaniquement vos investissements plus durables sur le plan environnemental.
Théorie taxonomique ou pratique de la taxonomie ?
La théorie veut donc que plus vous investirez dans des entreprises avec des ambitions « taxonomie verte » importantes, plus votre portefeuille sera « vert ».
La pratique est plus complexe, comme souvent. Pour donner un ordre de grandeur, l’alignement taxonomie verte du CAC 40 est de l’ordre de 2% du chiffre d’affaires3.
Dans le cas d’une seule entreprise, les chiffres peuvent augmenter, mais cela dépendra beaucoup de ses activités et nécessairement de son secteur d’appartenance. En effet, si le secteur industriel ou encore des services aux collectivités peuvent présenter des alignements importants, un secteur comme la pharmacie, absent du dictionnaire au moins sur les deux premiers objectifs sur les six, ne pourra pas afficher d’alignement à la taxonomie verte.
Toutes les activités ne sont pas « vertes » et c’est bien normal. Fabriquer des vaccins est tout à fait louable socialement mais n’atténue pas le changement climatique. Ce n’est pas pour autant que c’est un mauvais investissement. Il n’est juste pas vert.
Dès lors, il est important de savoir qu’en 2023 un alignement à la taxonomie supérieur à 10% est déjà un niveau (très) important lorsque l’on évoque un portefeuille diversifié.
Pourtant ce principe de réalité n’est pas à prendre négativement car :
- le dictionnaire ne couvre que 2 objectifs sur 6. Beaucoup d’activités seront donc bien vertes une fois les chapitres remplis mais ne le sont pas encore aujourd’hui. L’alignement taxonomie verte globale augmentera donc mécaniquement avec le temps
- les critères à respecter sont nombreux et exigeants, gages de crédibilité, mais rendent le calcul complexe pour les entreprises qui mettent donc du temps à divulguer ces chiffres, et le font de manière prudente en minorant la réalité afin de ne pas être accusé d’écoblanchiment (green washing)
- l’accoutumance à ces notions, et l’exigence des investisseurs ou des autorités européennes sur l’alignement taxonomie verte poussera l’ensemble des entreprises à développer la part verte de leurs activités par rapport à la part brune et à améliorer leurs reporting dans le domaine.
Taxonomie : le verdissement progressif des portefeuilles
En conclusion, l’une des manières de « verdir » ses investissements est d’optimiser le pourcentage d’alignement à la taxonomie verte. Cependant, la réalité fait qu’actuellement un pourcentage élevé est difficile à atteindre et provoque des biais sectoriels importants pouvant parfois altérer (en positif ou négatif selon les configurations de marchés) le rapport risque/rendement.
Tout ceci devrait évoluer dans le bon sens au fur et à mesure que l’ensemble des parties prenantes de la finance durable (entreprises, gestionnaires, banques, investisseurs...) mettra à jour l’équation risque/rendement/durabilité.