La France s’englue dans le flou politique
Les incertitudes politiques en France sont une nouvelle fois renforcées après la motion de censure votée hier soir. Si l’option d’un shutdown (fermeture temporaire de l’administration) nous semble très peu plausible, cette situation abîme cependant un peu plus la confiance des acteurs économiques français dans un contexte de croissance qui faisait déjà face à des vents contraires, ce qui peut contribuer à accentuer l’écart entre les taux français et allemands. Si le flou perdure trop longtemps, la BCE sera pour sa part probablement amenée à aller un cran plus loin dans la baisse de ses taux directeurs. Ceci favoriserait un peu plus la faiblesse de la monnaie unique face au dollar ces prochains mois. Enfin, dans ce contexte, l’attrait du CAC 40 en relatif au reste des indices européens s’en trouve toujours amoindri, et davantage encore par rapport aux indices américains, tandis que, côté crédit, les émetteurs français plus exposés au risque français risquent de subir une pression durable sur les spreads.
Le gouvernement de M. Barnier est censuré
A l’issue de l’adoption de la motion de censure, suite au recours par le gouvernement à l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), le gouvernement de M. Barnier est démissionnaire (il se contentera d’expédier les affaires courantes dorénavant) jusqu’à la probable nomination d’un autre Premier ministre, et le budget pour 2025 est rejeté.
Le risque est donc très élevé que la France n’ait pas de budget pour 2025 ces prochaines semaines. Pour autant, nous excluons le risque d’un arrêt du financement des administrations publiques (shutdown français). La Constitution prévoit en effet différentes options pour assurer la continuité budgétaire à court terme, avant l’adoption d’une loi de finances pour 2025, ce qui devrait permettre de contenir la hausse du spread de taux France-Allemagne à 10 ans (ressorti à 85 bp hier soir), avec une progression additionnelle limitée vers une fourchette comprise entre 90 à 100 pb selon nous :
- Vote d’une loi budgétaire spéciale par le Parlement : déposée avant le 19 décembre et promulguée avant le 1er janvier 2025, elle assurerait la continuité des recettes et des dépenses prévues en loi de finances 2024. Les oppositions à l’Assemblée nationale se sont dites favorables à son adoption et cette option nous apparaît donc très probable;
- Recours aux pouvoirs exceptionnels par le président de la République prévu à l’article 16 de la Constitution : en l’absence de budget et en dernier recours, le président promulguerait, seul, un budget de son choix avant le 1er janvier 2025. Il nous semble peu probable que la situation l’exige.
Si le risque d’un shutdown est exclu, l’incertitude qui entoure la trajectoire du déficit public en 2025 est forte. Emmanuel Macron nommera un Premier ministre de plein exercice, lequel aura la charge de faire adopter un budget en 2025. Dans l’attente de cette étape, la prolongation du budget précédent devrait conduire à un déficit entre 5,5% et 5,8 du PIB pour 2025. Il serait ainsi plus élevé que la cible du gouvernent Barnier, mais probablement plus faible qu’en 2024, notamment parce qu’une grande partie des dépenses seront maintenues sur leur niveau de 2024 et n’intègreront donc pas la croissance du PIB et l’inflation. De plus, le barème de l’impôt sur le revenu ne sera pas relevé, conduisant à une collecte plus importante. Ce point technique sert de garde-fou au dérapage des finances publiques si aucun gouvernement ne parvenait à faire voter une loi finances et il explique la réaction modérée des marchés financiers ainsi que l’absence d’envolée du spread français.
Pour autant, il est fort possible que, après le vote d’une loi spéciale reconduisant le budget 2024, un nouveau budget soit par la suite proposé avec deux possibilités selon nous :
- Un budget légèrement ajusté à la hausse : la nomination d’un Premier ministre, au profil similaire à M. Barnier et soutenu par la même coalition, ou un gouvernement technique pourrait conduire à l’adoption d’un budget 2025 prévoyant un déficit public légèrement révisé à la hausse (au-delà de 5% du PIB) afin de pouvoir satisfaire aux exigences exprimées par les oppositions afin de s’assurer qu’elles ne votent pas une nouvelle motion de censure;
- Un budget révisé significativement à la hausse : cette hypothèse, moins probable, émanerait d’une convergence des partis politiques sur des propositions rejetant en grande partie la consolidation budgétaire.
Dans les deux cas, ceci devrait contenir le déficit rapporté au PIB, et éviter un accident.
Soulignons enfin qu’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale est très probable en juillet 2025, ce qui posera de manière durable la question de la soutenabilité des dépenses publiques pour les investisseurs financiers ces prochaines mois.
Une croissance plus terne et une vigilance accrue de la BCE
Au-delà des conséquences des incertitudes budgétaires sur le spread entre les taux souverains français et leurs homologues allemands, la croissance française devrait être pénalisée. Les effets défavorables sur la confiance des entreprises viendront s’ajouter à ceux liés au ralentissement économique, à la faiblesse de la demande dans l’industrie et à la guerre commerciale qui se profile à la Chine. Ces vents contraires seront en partie compensés par le rebond de la consommation des ménages (reflet de la hausse des salaires réels) et par l’assouplissement de la politique monétaire, mais leur impact positif sera insuffisant pour éviter un ralentissement de la croissance en 2025.
Pour la BCE, les difficultés politiques de la France ne justifient pas une intervention. Nous n’anticipons pas un recours à l’outil TPI (Transmission Protection Instrument, pour l’instant resté à l’état de promesse) alors que Paris ne respecte pas les critères de déclenchement. Christine Lagarde a toutefois rappelé que la stabilité des prix n’allait pas sans la stabilité financière, protégeant implicitement la France en cas de fortes turbulences de marché.
Au-delà des fluctuations de marché, nous estimons que la faiblesse de la croissance française amplifiera celle de la zone euro. Il est donc probable que la BCE soit conduite à aller un cran plus bas dans la baisse de ses taux directeurs.
En parallèle, nous considérons que le spread entre les taux français et allemands à 10 ans risque de rester plus écarté, et progresser dans une fourchette comprise entre 90 et 100 pb, pour refléter l’instabilité politique française.
Pour le CAC 40, ce flou politique persistant incarne évidemment un frein additionnel à court terme, au moins en relatif par rapport aux Stoxx Europe 600, et encore davantage face au S&P 500.
Enfin, en ce qui concerne le crédit corporate, la situation politique et son impact attendu sur la croissance et sur le spread OAT Bund, devraient conduire les investisseurs à prolonger à court terme une forme de prudence sur les émetteurs français, mais l’impact devrait rester limité. Les financières, perçues comme plus « proches » du risque souverain, les groupes très exposés géographiquement au marché français, et, pour le High Yield, les entreprises confrontées à des sujets de refinancement à court terme, risquent de rester sous pression de manière plus marquée.