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Comment est née la cellule Viti-vini ?
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Jean-François Compeyrot : La banque CIC Sud‑Ouest, anciennement Société Bordelaise, a été créée en 1880 notamment par des professionnels issus du monde viti vinicole. Notre banque dispose aujourd’hui de nombreux clients tant dans les propriétés viticoles que chez les négociants et courtiers.
Nous avons créé la cellule Viti-Vini en 2000 mais la partie transactions a été mise en place il y a une quinzaine d’années afin de répondre à la demande des clients issus du monde viti vinicole. Cette cellule est spécialisée dans les transactions immobilières car dans des régions comme les nôtres, nous sommes quotidiennement au contact de propriétaires qui ont besoin de s’agrandir, d’acheter de nouvelles parcelles, ou qui veulent vendre. Nous sommes sollicités aussi bien par les vendeurs que par les acheteurs. Nous avons donc dédié cette cellule à l’achat et à la vente de propriétés viticoles.
Pourquoi investit-on dans la vigne ?
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JFC : Par passion ! Beaucoup de milliardaires ont investi dans la vigne, particulièrement dans le Bordelais. Les raisons sont nombreuses, mais la première est la passion. Ils se sont tous rêvés en gentlemen farmers après avoir vécu leur vie trépidante de capitaines d’industrie.
La seconde raison est fiscale car une propriété viticole est considérée comme un outil de travail et n’est donc pas soumise à l’IFI (impôt sur la fortune immobilière)1.
De plus, si un investisseur acquiert une propriété viticole, il peut bénéficier du « 150 O B Ter », la disposition fiscale qui lui permet – s’il vend une entreprise et qu’il réinvestit par exemple dans le vin - de bénéficier d’une suspension de plus-value sur ce qu’il a réinvesti2.
Philippe Lamarque : L’investissement dans l’activité viticole, c’est de l’investissement passion, car la rentabilité n’est pas assurée. C’est donc de la diversification - comme certains investissent dans l’art ou dans les collections - ou une activité complémentaire. Toutefois, c’est l’une des classes d’actifs qui a le plus progressé depuis plus de 30 ans, notamment dans les appellations prestigieuses dont plus particulièrement celles du Bordelais et de Bourgogne.
Quelle rentabilité en attendre ?
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PL : Il ne faut pas s’attendre à une grosse rentabilité. Les prix à l’hectare sont très contrastés. Ils peuvent aller de 10 000 €/ha dans l’entre-deux mers où la rentabilité est difficile, 15 000 €/ha à Bordeaux, entre 2 000 et 10 000 à Margaux ou Pomerol et à près de 100 M €/ha sur des grands domaines comme Château Petrus. Là, on achète du rêve car c’est un bien qui ne se dévalorisera pas. Mais il ne faut pas venir « pour la rentabilité ».
Quelles sont les régions à privilégier pour un investisseur ?
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PL : En ce moment, je dirais la Provence en premier lieu, ensuite Bordeaux (quand on achète dans le bordelais, on achète une marque connue dans le monde entier). Ensuite, je dirais la Champagne et les Côtes du Rhône. Ce sont actuellement les régions phares. Toutefois, avec le réchauffement climatique, certains s’interrogent : faudra-t-il changer les cépages ? D’autres commencent à s’intéresser à des régions plus au Nord, comme les vins des Pays de la Loire... voire même le Sud de l’Angleterre ! Nous avons eu récemment des producteurs de vin en Californie qui s’intéressaient au muscadet, par exemple !
Où en est le marché viticole français ?
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JFC : Chaque région a ses spécificités mais d’une manière générale, le marché viticole vit une période difficile. Il est difficile de vendre du vin, particulièrement à l’export du fait des mesures américaines (les États-Unis taxent de 25% les vins venant de France, d’Allemagne et d’Espagne, en représailles des subventions perçues par Airbus) ; et bien sûr, à cause de la crise sanitaire qui secoue le monde. Chez nous, les cafés et restaurants sont particulièrement affectés.
PL : Certaines propriétés sont plus touchées que d’autres. À Bordeaux, les grands vins se portent bien, et même très bien ! La production bio, HVE (haute valeur environnementale), la biodynamie, le vin nature... ces démarches ont le vent en poupe sous la pression des consommateurs. Même les grands crus de Bordeaux s’y mettent. C’est le moyen de gamme qui souffre le plus. Il y a eu peu de ventes depuis le mois de mars 2020. Il existe donc beaucoup de stocks à écouler et les récoltes 2020 sont bonnes... Avec la crise, il faut s’attendre à ce qu’il y ait des petits producteurs qui vendent. La trésorerie va manquer. Cela va sans doute redéfinir le paysage.
Quels conseils donnez-vous à ceux qui souhaitent investir dans le Bordelais ?
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JFC : Il faut garder en tête qu’investir dans une propriété viticole coûte cher. Non seulement à l’achat, mais il faut souvent refaire le vignoble, renouveler les équipements... c’est une activité gourmande en termes de liquidités. C’est un aspect important à prendre en compte.
PL : Il faut être patient pour gagner de l’argent. La rentabilité, c’est sur le long terme. Mais celui ou celle qui a vraiment la passion du vin et du beau travail, qui saura faire un bon produit et le faire reconnaître par ses pairs, pourra toujours tirer son épingle du jeu. En effet, faire du bon vin est la première des conditions mais il faut surtout avoir de bons circuits de commercialisation diversifiés avec un vrai savoir-faire marketing.